Synthèse de la journée d’étude “L’urbanisme transitoire au service de la transition écologique, économique et sociale des territoires : retours d’expériences à Reims, Lille, Bordeaux et Lyon” – 13 décembre 2023
Synthèse réalisée par les étudiants de la spécialité « Urbanisme temporel » du Master 2 Urbanisme Durable et Territoires de l’ESIReims-IATEUR : Lauryne Affokpon, Liza Bouchebbah, Zineb Benzazoua, Pauline Chantreuil, Ouz-Ram Codio, Axelle Deneufgermain, Fannie Dollat, Eloïse Dupuit, Sara Illouli, Clarisse Pédron, Maxence Tsila et Zawa Youssoufa. Relue par Sandra Mallet et Baptiste Colin
Introduction
Cette journée d’étude, qui s’est déroulée le mercredi 13 décembre 2023 à l’Hôtel de Ville de Reims, a été organisée par le laboratoire Habiter de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, en collaboration avec les laboratoires TVES de l’Université de Lille et l’UMR CNRS EVS de l’Université de Lyon 3, dans le cadre du programme de recherche TransUrba coordonné par Sandra Mallet et financé par l’ADEME.
La journée s’est déroulée en trois temps :
- après des mots d’accueil prononcés par Nathalie Miravette, adjointe au Maire de Reims à l’urbanisme et au foncier et Laurent Lucas, vice-président à la recherche et à la valorisation de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, Sandra Mallet a inauguré la journée d’étude en présentant le programme TransUrba ;
- des retours d’expériences ont ensuite été partagés sur les villes de Reims, de Lille, de Bordeaux et de Lyon, par des chercheurs et des praticiens ;
- une discussion croisée, animée par Thomas Zanetti et Marc Dumont, a enfin invité les intervenants et les participants à partager leurs idées et à envisager des perspectives innovantes de l’urbanisme transitoire.
Introduction à la journée d’étude
- Sandra Mallet, professeure des universités, Laboratoire Habiter, Université de Reims Champagne-Ardenne
Sandra Mallet a introduit cette journée en rappelant qu’elle s’inscrit au sein d’un ensemble plus vaste de recherches menées sur la question du temps en urbanisme et en aménagement, conduites par le laboratoire Habiter depuis une dizaine d’années. Au sein de ces recherches, la compréhension et la maîtrise des différentes temporalités sont considérées comme nécessaires pour construire la transition écologique, économique et sociale des espaces : poser la question du temps est essentiel face aux changements climatiques et aux problématiques écologiques, face à l’accélération des rythmes sociaux et au présentisme dominant les sociétés contemporaines.
Dans un contexte de « perturbation » des rapports au temps, on observe un foisonnement d’initiatives depuis une dizaine d’années, qui sont conçues sur des temporalités courtes et amènent à reconsidérer les phases traditionnelles des projets urbains. Il existe aujourd’hui une variété d’initiatives en matière d’aménagements temporaires et les usages sont très diversifiés : on y trouve régulièrement de l’agriculture urbaine, de l’économie sociale et solidaire, des activités associatives, sportives, créatives, culturelles, festives, etc. Par conséquent, l’urbanisme transitoire servirait alors à créer des lieux plus vivants, plus inclusifs que ceux de la ville traditionnelle. Il participerait alors à la création d’usages avec la présence d’un large panel d’acteurs variés. Ces nouvelles formes d’actions attirent beaucoup l’attention, des praticiens comme des chercheurs. Elles suscitent de la curiosité, de l’intérêt, mais aussi des interrogations.
Le projet TransUrba s’inscrit dans une démarche de recherche visant l’apport de connaissances nouvelles. Structuré autour d’une équipe de chercheurs pluridisciplinaire, il interroge les enjeux soulevés par les projets d’urbanisme transitoire en matière de Transition Écologique, Économique et Sociale (TEES) à l’échelle nationale. Cette recherche propose d’étudier des projets situés dans trois métropoles différentes, celles de Lyon, de Lille et de Bordeaux.
Cette journée vise à mettre en évidence certains projets et à présenter des analyses au croisement des échelles métropolitaines et de projets spécifiques. Ainsi, ce rassemblement entend être un temps de partage des retours d’expériences et d’expertise conjointe entre professionnels de l’urbanisme et chercheurs.
Avant de lancer les présentations et les échanges en laissant la parole aux intervenants, Sandra Mallet a mis en évidence les questions qui animent les chercheurs du projet TransUrba et qui permettent de lancer un débat transversal :
- tout d’abord, celle des acteurs qui contribuent à ces initiatives : l’urbanisme transitoire a fait apparaître de nouveaux acteurs dans le champ de l’urbanisme, mais a aussi renforcé la présence d’acteurs déjà existants mais atypiques, tout autant qu’il convoque des acteurs traditionnels. Selon les territoires, on peut supposer que les acteurs ne sont pas exactement les mêmes : qui sont localement les acteurs qui se saisissent de ces pratiques ? dans quels objectifs ? Comment les acteurs collaborent-ils entre eux pour faire émerger et vivre les projets ?
- ensuite, des questions se posent sur les modes de faire, le renouvellement des méthodes, et l’intégration de ces pratiques dans les cadres de la fabrique traditionnelle des territoires : assiste-t-on à une rupture et une remise en cause des pratiques habituelles ? quelles adaptations sont nécessaires pour faire place à des pratiques qui peuvent être qualifiées d’« alternatives » ?
- enfin, des interrogations existent sur les jeux du court-terme et du long terme, sur l’inscription des pratiques temporaires dans la durée et sur leurs effets : est-ce que les initiatives transitoires, donc temporaires, parviennent à nourrir un projet à plus long terme ? et si oui, comment ? est-ce que ces initiatives, tout aussi inventives qu’elles puissent être, parviennent à mettre à l’agenda de nouvelles préoccupations dans les politiques publiques, pour œuvrer en faveur d’une transition à la durabilité dans les territoires ? Et si oui, quels aspects sont privilégiés ?
Cette journée d’étude est ainsi l’occasion d’aborder ces questions.
Retour d’expériences de Reims
Évolution de l’urbanisme transitoire dans le territoire de Reims et du Grand Reims
- Arnaud Bassery cofondateur et président de la Société Coopérative d’Intérêt Collectif Le Bloc
- Agathe Laval, mission Villes et territoires durables, fabrique des espaces publics du Grand Reims
- Jean Delestrade, co-fondateur et directeur artistique de la coopérative culturelle Jazzus
Depuis plusieurs années, la Ville de Reims s’est engagée dans des expérimentations et des actions temporaires, créant notamment des lieux culturels et des tiers-lieux. Ces initiatives exploitent des espaces négligés pour des activités culturelles, artistiques et économiques, impliquant la communauté locale.
Certains projets sont déjà anciens : l’espace Saint-EX a ainsi jeté les bases du coworking en 1947, représentant ainsi le premier tiers-lieu collaboratif dans la métropole de Reims, offrant un espace partagé pour le travail. Les projets d’urbanisme transitoire ont surtout pris forme après 2016 avec le projet Quartier Libre, qui incarne une vision multidimensionnelle prônant l’innovation et l’entrepreneuriat. Cette initiative a ouvert ses portes dans les anciens locaux kde Plurial Novilia, lançant une phase initiale d’expérimentation de trois mois. Dans la lignée de cette expérience, La Petite Halle a été créée par la société Le Bloc en 2018, devenant un espace événementiel essentiel de Quartier Libre, propice à l’organisation d’événements culturels variés. Au cours des saisons estivales de 2020 et 2021, la société crée les Magasins Généraux, un lieu évènementiel au cœur du vaste projet urbain de Port Colbert.
D’autres acteurs contribuent également à construire des tiers-lieux et des espaces temporaires, notamment Jazzus, qui a introduit de nouvelles activités dans la zone industrielle du quartier du Port Sec : il a notamment donné naissance au tiers-lieu le Shed en 2019, labellisé Fabrique de Territoire par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires. La coopérative culturelle se projette sur la création d’alternatives imbriquant de nouvelles installations culturelles et créatives, tout en favorisant les déplacements dans ce quartier industriel, la mixité d’usages et l’intérêt général.
Au niveau du Grand Reims, la pandémie de COVID-19 a impulsé la création de différents projets temporaires sur la voirie et l’espace public, avec des initiatives dites de « chronopiétonisation » (2020/2021) pour limiter la circulation des voitures sur la place d’Erlon pendant les week-ends, des « coronapistes » pour limiter un report trop important de l’utilisation des transports en commun vers la voiture durant cette période rendant nécessaires des distanciations physiques entre les personnes, pour des raisons sanitaires. Les expérimentations temporaires sur la voirie sont actuellement poursuivies par la collectivité, par exemple avec le projet « Rues aux écoles ».
La collectivité s’est également investie dans la création d’un jardin éphémère dans le centre-ville de Reims, chaque année depuis 2021, visant à créer des effets de surprise et d’animation des espaces publics, dans l’objectif de participer à une transition vers des mobilités moins carbonées et transformer les usages des espaces.
Dans le domaine de l’agriculture urbaine, l’association la Ferme rémoise a signé une convention d’occupation précaire pour soutenir et accompagner les personnes cherchant à s’investir dans l’agriculture urbaine, et favoriser les démarches d’économie circulaire et durable.
Sur le territoire du Grand Reims, la grande majorité des projets d’urbanisme temporaire se situent ainsi sur la ville de Reims. S’il n’existe pas de stratégie globalement établie, on observe un développement de ce type de projets depuis le milieu des années 2010, ainsi qu’une variété de domaines concernés.
En impliquant une variété d’acteurs, ces projets d’urbanisme transitoire à Reims ont permis de renforcer les structures existantes mais ont également ouvert la voie à de nouveaux partenariats et à une réflexion sur les méthodes traditionnelles.
Retour d’expériences de Lille
L’urbanisme transitoire en contexte de renouvellement urbain : premières leçons d’expérience en métropole de Lille
- Marc Dumont, professeur des universités, Laboratoire TVES, Université de Lille
- Annette Groux, professeure des universités, Laboratoire TVES, Université de Lille
- Sephora Derrouiche et Vassili Duverly, ingénieurs d’étude Laboratoire TVES, Université de Lille
La Métropole européenne de Lille est un territoire hétéroclite, avec des dynamiques différenciées entre Lille, Roubaix et Tourcoing. L’héritage du déclin industriel est encore visible à travers une crise urbaine et sociale, marquée par des secteurs où l’immobilier est détendu. Les différents intervenants ont mis en avant l’émergence de l’urbanisme transitoire dans un contexte de renouvellement, en particulier sur les secteurs touchés par l’obsolescence urbaine et les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Cette montée en puissance de l’urbanisme transitoire dans les quartiers prioritaires de la Politique de la ville s’explique par plusieurs facteurs : la conjoncture économique qui a mis au ralenti certains projets, des difficultés à faire venir des opérateurs économiques et des habitants dans certains espaces ; ainsi que la nécessité de renforcer l’accompagnement social.
La Gestion transitoire au service des bailleurs pour les projets de renouvellement urbain
- Maurine Ceuninck, chargée d’études en gestion transitoire, GIE La Méta
- Raphaël Fretigny, responsable du pôle ingénierie des territoires, GIE La Méta
Selon le groupement d’intérêt économique (GIE) La Méta qui regroupe les bailleurs sociaux de la métropole, le contexte de renouvellement urbain impose des contraintes spécifiques : l’occupation temporaire n’excède pas quatre ans pour s’aligner avec la durée des contrats ANRU, certaines activités ont des difficultés à s’implanter en raison de l’image du quartier, et pour les bailleurs généralement, le projet transitoire n’a pas vocation à se pérenniser, et ne préfigure que très rarement l’activité future.
Les différents intervenants de la MEL et du GIE La Meta ont révélé plusieurs limites à l’exercice de l’urbanisme transitoire, en particulier un manque de suivi et de mesure de l’impact du transitoire, des difficultés budgétaires mais aussi juridiques, administratives et techniques se sont révélées, le tout lié à un problème d’acculturation des acteurs de l’urbanisme et des élus.
Pour les bailleurs sociaux, l’urbanisme transitoire permet d’offrir des éléments de réponse à cinq enjeux :
- la limitation des risques liés à la vacance des logements,
- l’absence d’activités sur un foncier libéré,
- la gestion de l’attente auprès des locataires du parc social ou des partenaires institutionnels,
- la préfiguration de projets urbains à travers l’expérimentation, le test ou l’amorce de projets,
- l’accompagnement d’un changement d’image et d’usages des lieux auprès de ses habitants.
Les intervenants s’accordent sur la nécessité de mettre en place une approche stratégique plus poussée sur l’urbanisme transitoire, à l’échelle de la collectivité. Des réflexions et des études sur ce sujet ont été amorcées depuis 2019.
Développer une approche stratégique en matière d’urbanisme transitoire à l’échelle des opérations de renouvellement urbain
- Jérôme Tardieu, coordinateur NPNRU MEL
La MEL cherche notamment à appliquer une démarche de gestion temporaire dans ses projets de renouvellement urbain puisqu’elle l’inscrit dans la stratégie métropolitaine délibérée par le conseil communautaire en amont des projets. L’objectif à atteindre est alors d‘intégrer ces problématiques d’urbanisme transitoire de façon plus permanente, mais cela reste difficile en vue des contextes très différents du territoire.
Finalement, l’urbanisme transitoire est considéré comme un outil nécessaire contre les mésusages dans les quartiers mais aussi un appui de façon croissante aux transitions écologiques, économiques et sociales.
Retour d’expériences de Bordeaux
L’ancrage du temporaire dans la fabrique des espaces urbains à Bordeaux
- Antoine Fleury, chargé de recherches, UMR CNRS Géographie-cités
- Sandra Mallet, professeure des Universités, Laboratoire Habiter, Université de Reims Champagne- Ardenne
Sandra Mallet et Antoine Fleury ont retracé l’évolution de l’urbanisme transitoire à Bordeaux et montré la manière dont il s’est inscrit dans la fabrique urbaine, passant d’une pratique marginale, dans les années 2000, à une pratique courante et valorisée, voire banalisée, dans les années 2020.
Sur la base d’une enquête réalisée à partir d’entretiens et de la constitution d’une base de données rassemblant les projets et des observations, l’étude a permis de rendre compte que l’ancrage du temporaire ne s’est pas réalisé de manière linéaire mais qu’il a connu un itinéraire jalonné de moments d’émergence, d’accélération, de ralentissement ou de bifurcations.
Premier moment (1995-2007) : Cette période est marquée par l’arrivée d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux. Dans un contexte de naissance de grands projets d’urbanisme et d’un frein donné à certaines formes d’activités culturelles, les premiers collectifs d’architectes et associations remettant en cause les manières classiques de faire la ville, et agissant par expérimentation sont nés, en particulier Bruit du Frigo, qui a réalisé de nombreux projets. Dans ce premier moment, les acteurs publics, notamment les municipalités, sont clairement en retrait de cette dynamique.
Deuxième moment (2007-2016) : Dans la deuxième partie des années 2000, on assiste à une augmentation du nombre des collectifs d’architectes et de réseaux d’acteurs spécialisés autour du “temporaire”. Les pouvoirs publics commencent à s’intéresser aux initiatives, sans avoir de stratégie pré-établie. Avec leur soutien, de petits projets temporaires peu coûteux se sont multipliés dans toute la ville, en particulier sur les espaces publics, notamment pour renforcer la dimension participative des projets. Mais l’intérêt suscité par le temporaire chez les pouvoirs publics demeure mêlé à de l’incompréhension durant cette période. Cette période est aussi marquée par la création de l’Ecosystème Darwin, un lieu alternatif et festif pionnier, qui s’avère être le premier espace de coworking en France accueillant des entreprises, des associations et propose des services de restauration, de sport, etc. Le lieu s’inscrit sur des espaces en propriété et des espaces appartenant à la municipalité, occupés temporairement.
Troisième moment (2016- 2020) : Cette période est caractérisée par un cadrage progressif des collectifs d’architectes de l’urbanisme transitoire par les pouvoirs publics, une diversification des acteurs de l’urbanisme temporaire, un foisonnement des projets temporaires et un recours aux références extérieures. Ce moment est marqué par la naissance d’un conflit entre les pouvoirs publics et les propriétaires de l’Ecosystème Darwin. Ces derniers refusent d’abandonner les espaces pour lesquels ils avaient obtenu une convention d’occupation temporaire : une sorte de « contre-modèle » de l’occupation temporaire s’affirme alors dans la métropole. Cependant, on observe également une montée en compétences des acteurs institutionnels dans le domaine de l’urbanisme temporaire, en particulier La Fab (aménageur en charge de la maîtrise d’ouvrage de nombreux grands projets pour le compte de Bordeaux Métropole), l’agence d’urbanisme locale l’A’urba, et Aquitanis, office public d’habitat.
Quatrième moment (depuis 2020) : 2020 constitue une année charnière puisque le nombre d’actions temporaires s’accélère fortement, pour atteindre en moyenne 10 projets par an. L’expérimentation s’impose dans les politiques de mobilité à la faveur de la pandémie, mais l’urbanisme transitoire se généralise aussi sous l’impulsion d’acteurs publics locaux et nationaux. Le temporaire est désormais reconnu comme un outil à part entière dans les politiques urbaines, pour impulser et tester des projets.
Retour d’expériences de Lyon
Le développement du transitoire dans la métropole lyonnaise : prise de risque ou gestion de l’incertitude ?
Contexte historique de l’urbanisme temporel à Lyon : une dynamique croissante
- Baptiste Colin, ingénieur d’études, UMR CNRS EVS, Université Lyon 3
En 2019, la métropole de Lyon a lancé une démarche d’urbanisme temporaire pour faire face aux défis liés à la vacance et aux problèmes fonciers urbains et sociaux. En s’inspirant du modèle des Grands voisins à Paris, la métropole s’engage dans une dynamique de mixité d’usages par un investissement de 800 000 €. Cependant, le manque de réactivité des acteurs ainsi que l’application très stricte des règles freinent cette dynamique. Ce n’est qu’après les élections de 2020 que la métropole réaffirme des ambitions fortes en matière de transition écologique, économique et sociale dans sa programmation pluriannuelle d’investissement du mandat de 2021-2026. Les principales orientations visent l’objectif de construire une métropole du bien vivre en intégrant les dimensions écologiques et sociales à tous les projets d’urbanisme. Béatrice Vessiller, vice-présidente de la métropole en charge de la délégation « Urbanisme et renouvellement urbain, cadre de vie », défend une politique foncière ambitieuse pour aménager, préserver et mettre à disposition les lieux de demain, souhaitant principalement généraliser l’utilisation des bâtiments vacants pour des occupations temporaires, faisant de l’urbanisme temporel une politique métropolitaine systématique. Ainsi, un nouveau budget de 1 300 000 € a été alloué en 2022, permettant la transformation de nombreux lieux. L’opération a transformé des friches en bâtiments actifs : certains se spécialisent dans la réinsertion professionnelle et d’autres deviennent des espaces d’accueil. Un financement supplémentaire d’1 000 000 € a également été accordé pour le projet urbain du Carré de Soie.
L’exemple de l’îlot Mazagran : les rapports de pouvoir dans l’urbanisme transitoire
- Thomas Zanetti, maître de conférence, UMR CNRS EVS, Université Lyon 3
Situé dans le quartier de la Guillotière à Lyon, l’îlot Mazagran est à l’origine un projet de prolongement de l’avenue Félix Faure jusqu’au Rhône. Ce projet formulé dès 1925 ne sera pas mis en œuvre mais restera dans les objectifs de planification du territoire.
En 1994, de nouvelles intentions de planification vont être posées. Dans ce but, la collectivité va acquérir du foncier, démolir du bâti, et libérer des emprises qui ne vont finalement pas être immédiatement utilisées, faisant naître des occupations temporaires. Le projet est relancé au début des années 2000, contribuant à réaliser de nouvelles études qui, elles aussi, mettront un terme aux acquisitions foncières, immobilisant à nouveau le projet. Ainsi, des bâtiments se libèrent, créant des délaissés urbains au sein même du bâti.
La nouvelle collectivité se place à l’encontre de la trajectoire de Gérard Collomb et ainsi renonce à ses acquisitions foncières engagées pendant plusieurs décennies, qui empêchaient le devenir du secteur. Afin de répondre au besoin en logements, de façonner l’attractivité du quartier qui ne fait que croître, la collectivité et des acteurs privés s’accordent à lancer une opération au plus vite.
C’est pourquoi, en 2018, l’îlot figure dans le périmètre d’une Orientation d’Aménagement et de Programmation du PLU-H de la Métropole de Lyon. Le projet, se trouvant dans un quartier qui a été longtemps délaissé des politiques urbaines, et faisant l’objet de micro appropriations, va susciter des conflits. La redéfinition récente de l’OAP par les élus locaux traduit une prise en compte des revendications (réduction du nombre de logements, critique de la destruction du patrimoine actuel qui a contribué à conserver un bâtiment d’origine transformé en crèche, et opposition à la disparition d’activités en centre-ville ayant permis d’intégrer des activités de l’ESS, d’artisanat etc.). La redéfinition du projet traduit la remise en cause d’un urbanisme de croissance (densification importante marquée par les mandats de G. Collomb) à un urbanisme de transition imposant d’autres registres de valorisation dans l’aménagement (patrimoine, écologie, mixité des usages etc.). Les appropriations habitantes ont été permises par ce temps long de transition puis de gel du projet. Bien que le transitoire soit un risque dans sa maîtrise dans la phase de projet, dans sa phase de « non projet public » et d’appropriation citoyenne, il s’agit d’une opportunité bénéfique pour faire évoluer et adapter un projet en fonction des enjeux urbains contemporains.
Exemples de différents aménagements transitoires participatifs
- Quentin Vernette, chargé de mission Participation citoyenne, Métropole de Lyon
Le premier aménagement évoqué concerne la commune de Villeurbanne, visant à réaménager une place située au carrefour de plusieurs flux entre le centre-ville et la périphérie. Le processus de concertation a permis de définir les usages attendus par les habitants, nécessitant le développement de divers modules testés sur place afin d’en évaluer leur efficacité. La question de la place des enfants est également soulevée, soulignant les contraintes réglementaires en urbanisme transitoire. Les usagers sont impliqués dès le début du processus à travers des questionnaires ou des ateliers, où ils sont invités à donner leur avis ou à imaginer une fonction pour la place. L’objectif de l’aménagement transitoire est d’évaluer ce qui a bien fonctionné. À la fin du processus, les riverains décident de l’aménagement qu’ils souhaitent conserver. Pour qu’un test soit crédible, il est crucial d’obtenir l’appropriation par le public, de développer réellement les usages, sachant que ces derniers prennent souvent plus de temps à s’installer que des installations temporaires classiques.
Le second exemple est le cas de la Fabriqueterie du Mas du Taureau. Ce projet a bénéficié de la participation du collectif Bruit du Frigo. Dans ce quartier, l’objectif était de dynamiser l’espace en lui donnant divers usages. Des événements tels que la Fête des Lumières ont été organisés en collaboration avec les habitants, revitalisant le lieu pendant quatre années consécutives. Une problématique récurrente dans les aménagements transitoires concerne la division entre la conception et la réalisation, souvent observée dans les collectifs d’architectes. Pour ce projet avec Bruit du Frigo, la conception et la réalisation ont été prises en charge simultanément, directement avec les habitants.
Enfin, le dernier exemple évoque la question de l’évolution des mobilités. La concertation dans ce projet est plus complexe car elle touche aux modes de déplacement plus individualistes. On parle plutôt dans ce cas d’« expérimentation urbaine » que d’aménagement transitoire. Après concertation, il a été décidé de tester à grande échelle plusieurs scénarios afin d’évaluer leur efficacité. Le scénario plus contraignant pour les automobilistes n’est pas toujours bien accepté par les habitants, soulignant l’importance de démontrer les gains obtenus et de développer différents types d’usage.
Conclusion
- Baptiste Colin, ingénieur d’études, UMR CNRS EVS, Université Lyon 3
Il est possible de dire que la métropole de Lyon est un exemple d’urbanisme temporaire institutionnalisé. En créant un service dédié, la collectivité souhaite traiter l’urbanisme temporaire comme une forme d’action à part entière. L’exemple de l’îlot Mazagran démontre que les habitants, les associations et militants permettent de redéfinir un projet par rapport à leurs besoins. Les exemples à Villeurbanne et Vaulx-en-Velin traduisent une volonté de concilier les acteurs locaux et l’encadrement. La participation citoyenne, réalisée lors de ces projets, est un élément clé de l’urbanisme temporel favorisant l’expérimentation.
On peut néanmoins s’interroger : l’encadrement d’un urbanisme partisan de l’éphémère, de l’inattendu, de l’expérimentation ne remettrait-il pas en cause l’essence de cet urbanisme temporel ? Autrement dit, le fait de proposer des endroits dédiés à l’urbanisme temporel avec des objectifs déterminés ne briderait-il pas l’expérimentation dévolue aux habitants ? à ce qu’ils participent, créent des actions qui leur ressemblent ? qui leur sont utiles ? qui les rassemblent ?
Discussion croisée
L’événement s’est clos par une riche discussion croisée réunissant les acteurs professionnels qui sont intervenus au cours de la journée. Animée par Marc Dumont et Thomas Zanetti, elle a permis aux intervenants d’interagir plus fortement entre eux et avec le public.
Afin de lancer la discussion et susciter le débat, une série d’interrogations a été posée en amont : Peut-on parler d’une rupture entre l’urbanisme transitoire et l’urbanisme traditionnel ? Ces phases transitoires favorisent-elles des conflits et des confrontations entre différentes conceptions d’urbanisme, qu’elles soient d’urbanisme traditionnel ou d’urbanisme de transition ? Comment peut-on évaluer les impacts des projets ? etc. Ces questions ont permis aux intervenants de réfléchir sur la portée de l’urbanisme transitoire.
Un débat s’est rapidement engagé sur la rupture entre l’urbanisme transitoire et l’urbanisme traditionnel, notamment face à l’intégration de l’urbanisme transitoire dans une fabrique urbaine qui peut finalement rester très « classique ». Une forme de brouillage des frontières semble s’exprimer entre l’action publique et les initiatives que l’on peut qualifier d’ « alternatives » ou « citoyennes », dans la mesure où il ne semble plus y avoir de délimitation claire entre les deux.
Les autorités publiques accompagnent les porteurs de projets temporaires, en les aidant à faire émerger d’autres projets plus créatifs et adaptés aux besoins locaux, en les soutenant financièrement, ou encore en leur offrant un cadre réglementaire flexible pour permettre la réalisation de ces projets, etc. Cela les amène à parler d’un « risque d’institutionnaliser » un concept qui était au départ du ressort de « simple bricolage », et qui était porté par des collectifs citoyens. Enfin, les intervenants ont pointé du doigt la faible participation des habitants dans la création des projets temporaires.
Conclusion
L’urbanisme transitoire était une pratique encore méconnue dans les années 1980. Elle s’est néanmoins généralisée auprès des urbanistes, des politiques publiques et des citoyens en 2020, suite à la pandémie mondiale de coronavirus, connaissant alors un important développement sur les territoires, jusqu’à devenir une pratique courante. L’évolution rapide de notre société et les défis liés au changement climatique exigent des réponses rapides et des solutions novatrices. En effet, l’adoption de la loi ZAN en 2020 a également joué un rôle important sur les enjeux liés au foncier en limitant l’artificialisation des sols, obligeant les acteurs de l’aménagement à trouver des alternatives. C’est dans ce contexte que s’inscrit la journée d’étude, axée sur la thématique de l’urbanisme transitoire au service de la transition écologique, économique et sociale des territoires. L’enjeu est double : agir avec discernement tout en imaginant un futur durable.
Au cœur des débats, l’urbanisme transitoire émerge comme une stratégie prometteuse et novatrice sur le territoire français. Les différentes interventions de cette journée ont apporté des éléments sur la manière dont l’urbanisme temporaire est expérimenté, perçu et vécu, qu’il s’agisse d’espace en friche, de quartier prioritaire de la ville ou de zone industrielle. L’action de l’urbanisme transitoire consiste notamment à repenser différemment les lieux en y apportant une nouvelle approche sur le court, moyen ou long terme. Il apparaît donc que le temps devient une composante à part entière dans ces projets afin de mettre en place de nombreuses expérimentations sociales et urbaines. Ainsi, l’urbanisme transitoire offre la possibilité de créer des espaces plus inclusifs tout en stimulant l’émergence de nouveaux acteurs et en renforçant ceux déjà présents.
Cependant, cette approche suscite de profonds questionnements : l’urbanisme temporaire remet-il en cause les normes établies dans l’urbanisme traditionnel ? Est-il perçu comme une rupture ou comme un accompagnement vers le changement de l’urbanisme classique ? L’encadrement juridique de plus en plus précis de ces projets et le manque de moyens financiers permettront-ils tout de même de favoriser l’application de l’urbanisme transitoire sur de plus nombreux espaces ?
Aujourd’hui devenu un outil d’aide à la décision, il reste essentiel de l’intégrer pleinement dans les processus visant la fabrique de villes plus durables et inclusives. Cette journée d’étude nous offre ainsi des opportunités de réflexion sur les multiples facettes et les défis de l’urbanisme transitoire, particulièrement quant à la nécessité de créer de nouveaux outils pour répondre à ces enjeux complexes.
Accéder au programme de la journée d’études
Accéder à la présentation du programme TransUrba
Cette journée d’études a été présentée par les étudiants du Master 2 Urbanisme Durable et Aménagement de l’ESIReims et de l’IATEUR lors du colloque Urbatime des 3 et 4 avril 2024.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Baptiste Colin (18 juillet 2024). Synthèse de la journée d’étude “L’urbanisme transitoire au service de la transition écologique, économique et sociale des territoires : retours d’expériences à Reims, Lille, Bordeaux et Lyon” – 13 décembre 2023. UrbaTime. Consulté le 29 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/121rf